INSOLENCE - INSOLATION

 

 

 

                     On peut ne voir qu'une simple parenté d'ordre esthétique ou phonétique entre les mots insolence et insolation. On peut décider qu'un coup de soleil jamais n'abolira le hasard. Et pourtant je ne peux m’empêcher de cligner des yeux devant l'éclat de ces deux mots qui se rencontrent fortuitement sur ma table de dissection. Il y a, dans le rapprochement poétique des mots insolence et insolation, une secrète correspondance, un partage de sens qui se recoupe dans l'excès, dans la maladie provoquée par un usage immodéré du soleil.

 

                     L'insolence, parfois orthographiée insolens, est issue, selon le Littré, du latin insolentia, qui « a proprement le sens d'action, de chose insolite, sens qui se trouve au XVIe siècle. » L'insolence c'est donc agir et penser avec une démarche inhabituelle, étonnante. L'insolence fait pousser l'herbe sauvage hors des sentiers battus, puisqu'a camin battut non creisse l'erba. Plus tard et jusqu'aujourd'hui, l'insolence prendra une coloration d'irrespect, voire d'insulte, comme si le fait de se porter par ses actes hors des attentes de la société, de ne pas se plier aux bonnes mœurs, équivalait à manquer de respect à ces braves gens qui se sentent ainsi insultées, trahies. Refuser la bonne bouillie des expériences de seconde main, refuser la becquetée et s'enfuir du nid, tenter l'aventure avec des ailes peu assurées, tant pis, le vent fera le reste. L'enfant est dit insolent qui toujours n'écoute pas les sages conseils, qui n'en fait qu'à sa tête. Eh quoi ? Il faudrait le faire avec la tête d'un autre ? L'insolent est une Testa dura, qui garde un axe de lumière dont il ne dévie pas, car il a compris quelque chose, il a une certitude, et cette certitude, quand bien même serait-elle une erreur, doit le mener jusqu'au bout de son propre soleil. Ainsi peuvent se confondre l'opiniâtre, le persévérant et le fou qui perd toute mesure, qui entre dans ce que les grecs nommaient l'hubris : la démesure d'un orgueil qui s'emporte, et emporte Icare l'insolent vers son but insensé où il se brûlera les ailes. Lui n'en a pas été quitte d'une simple insolation, il est allé plus loin encore. L'insolent est toujours prêt à approcher le plus près du soleil, même s'il doit y laisser des plumes. Il navigue à vue de la lumière la plus intense, la lumière majeure qui seule peut le guider. Voilà pourquoi les grands génies, les héros, les aventuriers de l'histoire, les artistes et les grands meneurs politiques sont presque toujours des insolents. Ils se doivent de l'être, car les nouveaux territoires de la pensée, de l'être, de l'existence toute entière ne peuvent s'acquérir que dans cette prise de distance, dans le dédain souverain de toute pesanteur, dans le brusque envol sur la piste des anciens codes : tirer son irrévérence, se tirer de là, des schémas éculés qui seront détruits à coups de marteau. Nietzsche philosophait ainsi, lui qui se disait flamme, qui voulait se confondre avec le soleil. Sa philosophie est une grande insolation.

 

                    C'est ainsi que nous devons nous efforcer, jour après jour, d'aller à contre courant, avec les mouvements inédits d'une nage insolente qui n'apaise aucune brûlure, aller contre les anciens usages, faire sien celui qui provoquera l'étourdissement, la désorientation face au soleil, implacable dans sa vérité. Une vérité qui est toujours brûlure, insolation, et dont la douleur est sa propre contestation. C'est alors que les cartes sont redistribuées, que la pioche offre de nouvelles coordonnées. C'est alors que le soleil se dédouble, et qu'il se met à germer à l'intérieur de nous, In-sol. La vérité est une coquille vide qui attend que nous la remplissions. Douter et garder le cap du doute, avancer toujours en direction du soleil.

 

 

 

© Camille Pouyet, 2016